De l'Atlantique au Pacifique, du plus connu au plus  mystérieux, 10 aliments pour célébrer la richesse culinaire  du Canada à l'occasion de son 150e anniversaire.

LES PROVINCES DE L'ATLANTIQUE

Sur la côte est canadienne, on se régale de baies, d'algues, de bulbes et de mollusques.

Terre-Neuve-et-Labrador: l'airelle

Le Québec a le bleuet, Terre-Neuve-et-Labrador a l'airelle. Les scientifiques ont mis en lumière ces dernières années le fait que cette baie rouge, proche cousine de la canneberge, est elle aussi une petite mine d'or d'antioxydants et que sa consommation aiderait à réduire les risques de maladies cardiovasculaires et ce, d'autant plus lorsqu'elle est cultivée le plus au nord possible. Les Scandinaves l'ont adoptée depuis belle lurette pour en faire des tartes, gelées, confitures, alouette. Terre-Neuve-et-Labrador en est le plus gros producteur au Canada, avec 90 000 kg, mais la demande dépasse l'offre et le gouvernement encourage la croissance de cette filière prometteuse.

Île-du-Prince-Édouard: l'ail noir

On connaît peu l'ail noir, nouveau condiment à la mode dans les cuisines des grands chefs de ce monde. Le fermier prince-édouardien Al Picketts l'a découvert, il y a six ans, grâce à une amie parisienne. «Le temps de convertir les grammes et les livres, les euros et les dollars, je savais que c'était un bon filon.» Le cultivateur d'ail a bidouillé un vieux frigo dans lequel il transforme les bulbes, avant de les revendre 50 $ la livre, le tiers du prix payé à Paris, ou d'en tartiner la chair, couleur charbon, mixée avec un peu de crème sure sur du pain grillé. 

Nouveau-Brunswick: le petit goémon

Ce n'est pas d'hier qu'on aime les algues au Nouveau-Brunswick. À Grand Manan, on récolte le petit goémon depuis des générations, un travail difficile qui n'a que peu ou prou changé depuis, fait à la main, à marée basse, les jours de tempête. Elles se mangent fraîches - on en donne aux bébés pour qu'ils s'y fassent les dents - ou séchées, par le vent et le soleil, puis réduites en flocons pour assaisonner un plat ou grignoter à l'apéro. Les plus savoureuses, dit-on, sont à Dark Harbour, dans la baie de Fundy, où l'on connaît des marées qui figurent parmi les plus hautes du globe.

Nouvelle-Écosse: le pétoncle de Digby

Le verdict du chef Alain Bossé, ambassadeur de la cuisine des Maritimes, est sans appel: «Les pétoncles de Digby sont les meilleurs au monde.» Point final. Ces mollusques, qui doivent leur nom à un petit village de pêcheurs de la baie de Fundy, sont particulièrement charnus, nourris par les sédiments charriés par des marées d'une ampleur exceptionnelle. À défaut d'y aller, on achètera le pétoncle congelé, un moindre mal: si on le tempère doucement, en eau salée, il est presque impossible de voir la différence avec les frais, assure le chef Bossé, qui dicte de les cuire, bien épongés, dans une poêle très chaude, «une minute de chaque côté maximum».

AU COEUR DU PAYS

Ce ne sont pas forcément les deux produits qui nous viennent instantanément à l'esprit quand on pense aux terroirs des deux provinces les plus peuplées du pays, mais ils n'en participent pas moins à leur renommée culinaire.

Québec: la tomate Savignac

La tomate Savignac, c'est celle d'Armand, Armand Savignac, un frère de la congrégation des clercs de Saint-Viateur qui, après une première carrière de chanteur grégorien, s'est tourné vers l'horticulture en même temps qu'il adoptait un régime végétarien dans l'espoir d'améliorer sa santé. Avec succès. Car au gré d'une sélection méticuleuse, il adaptera les semences d'un cultivar lambda pour mieux l'adapter au climat rigoureux du Québec, qui deviendra particulièrement productif en fruits juteux et sucrés. Il s'est éteint en 1995, à 94 ans (!), mais ses tomates lui ont survécu: elles sont classées dans l'Arche du goût du mouvement Slow Food et leurs semences sont commercialisées par plusieurs entreprises québécoises.

Ontario: le riz sauvage

C'est dans le pourtour des Grands Lacs que la culture du riz sauvage a pris son envol au Canada, commerce important pour les nations autochtones ojibwées, qui récoltaient, septembre venu, en canoë, ces longs grains, minces et sombres. Le riz sauvage, dont les tiges peuvent avoir plus de deux mètres de hauteur, pousse encore aujourd'hui dans les zones marécageuses de l'Ontario et du centre du Canada, où se concentre la majeure partie de la production mondiale, bien que la concurrence américaine est en hausse. En dépit de son nom, il n'appartient pas à la même famille que le riz blanc d'Asie, mais les deux se marient très bien pour accompagner un gibier ou un poisson sauvages.

Photo tiree du site web de Slowfood Canada

Les tomates Savignac sont classées dans l'Arche du goût du mouvement Slow Food.

L'OUEST CANADIEN

De la plus ancienne variété de blé du pays, au cousin du sirop d'érable, en passant par le bison albertain, la route de l'ouest nous mène jusqu'à la vallée de l'Okanagan et à son saumon rouge.

Manitoba: sirop de bouleau

On associe tellement le Canada au sirop d'érable qu'on a souvent oublié, au passage, que d'autres essences d'arbres peuvent aussi produire une sève sucrée et savoureuse. Les Amérindiens utilisaient déjà, il y a des centaines d'années, le bouleau. Des fermiers canadiens - dont plusieurs au Manitoba - ont relancé cette filière, non sans peine puisqu'il faut presque trois fois plus de sève de bouleau que d'érable pour produire un litre de sirop, mais avec des résultats intéressants. Le sirop de bouleau est d'ordinaire plus ambré, et son goût plus prononcé, que celui d'érable. On l'utilise en finition pour un plat de viande, glacer des légumes, accompagner un fromage de chèvre, etc.

Saskatchewan: le blé Red Fife

Du blé, du blé et encore du blé: le Canada est l'un des principaux producteurs de blé dur de la planète, avec des exportations qui dépassaient les 2 milliards de dollars l'an dernier. La Saskatchewan est championne en volume, mais aussi en diversité, puisque c'est ici qu'on a relancé, il y a 20 ans, la culture de la plus ancienne variété canadienne, le Red Fife, sauvé in extremis de la disparition au profit de ses concurrentes, plus rentables. Bien que sa production soit encore assez marginale, plusieurs boulangers - dont certains au Québec - ont adopté sa farine goûteuse.

Alberta: le bison

Animal emblématique de l'Alberta s'il en est un, le bison sauvage a frôlé l'extinction au siècle dernier avant d'être réintroduit dans certaines réserves de la province. Mais le bison, on peut en manger sans craindre de nuire à l'espèce, puisqu'il fait aussi l'objet d'élevage dans les fermes albertaines, dont certaines respectent une approche la plus naturelle possible, saluée par l'organisme Slow Food Canada (les bêtes sont nourries à l'herbe, au pâturage, ne reçoivent pas d'antibiotiques préventifs, etc.).

Colombie-Britannique: le saumon sockeye

Le saumon sockeye de Colombie-Britannique fut le premier pêché de façon extensive: on en aime la chair grasse, presque rouge, mais il a aussi beaucoup souffert de cette convoitise et ses stocks ont considérablement diminué. Il a été sauvé de l'extinction entre autres grâce au travail de communautés autochtones de la vallée de l'Okanagan, les Syilx, qui en ont fait la base de leur alimentation. Ils consomment notamment le poisson fumé, suivant un rituel qui s'étire sur près de deux jours. Slow Food Canada l'a inclus dans son «arche du goût» des produits qui méritent une attention toute particulière. La nation Syilx en commercialise.

Photo tirée de Twitter

Les Amérindiens utilisaient déjà il y a des centaines d'années le bouleau pour en extraire la sève sucrée.

Un menu 100 % canadien

Mertensie, boutargue de doré, haricots Hutterite: le dernier menu concocté par le chef Francis Wolf, du Manoir Hovey, n'est pas banal, mais n'a rien d'exotique. Ces aliments, comme tous ceux qui composent le repas servi tout le mois de juillet à l'auberge des Cantons-de-l'Est, proviennent exclusivement du Canada.

«L'occasion était belle, pour les 150 ans du Canada, de faire l'exercice de préparer un menu 100 % canadien», explique le chef.

On retrouve dans ce repas à sept services quelques classiques (le homard des Maritimes et le cerf, entre autres), mais surtout des découvertes intéressantes, dont plusieurs herbes marines, comme le pois de mer ou la salicorne.

«La cuisine canadienne se développe d'une belle façon», croit le chef, qui a participé le mois dernier au repas "Les Saveurs du Canada" organisé par la réputée James Beard Foundation, à New York.

«On voit un beau mouvement pour les produits locaux, qui sont de grande qualité au pays.»

Proximité oblige, le Québec est fort bien représenté dans cet exercice culinaire. Avec le foie gras, entre autres, apprêté avec menthe, confiture de tomates, pain à l'oignon et épinette. 

«Le foie gras du Québec, c'est quelque chose. Je ne connais pas d'autre endroit au pays où l'on en produit, pas de l'aussi bon, en tout cas. On fait vraiment des jaloux avec notre foie gras», dit Francis Wolf, qui l'avait aussi apprêté à New York pour le repas de la James Beard Foundation. C'est l'un de ses produits fétiches, avec le chevreau de Fitch Bay, non loin de l'auberge.

Ce menu ne sera servi qu'un mois. «On pourrait faire un menu 100 % canadien offert toute l'année - je travaille d'ailleurs toujours essentiellement avec des produits locaux -, mais il faudrait que je l'adapte au gré des récoltes», explique-t-il.

Menu à 110 $ par personne; 60 $ pour cinq vins canadiens en accompagnement; 80 $ pour sept verres.

Réservations: https://www.manoirhovey.com/

Photo fournie par le Manoir Hovey

Saucisse de chevreau de Fitch Bay servi avec asperges, menthe, cônes de Mélèze, églantier et Haricots Hutterite.